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Sources sacrée et fontaine de dévotion

Le culte païen des eaux

la_vraie-croix_56Le culte des eaux est sans doute parmi les plus anciens, et comme le pense Camille Jullian  » Le culte des sources saintes en Gaule remonte à l’époque Ligure, toutes ces sources ayant été alors aux yeux de nos ancêtres, esprits ou génies, dieux ou déesses… »; de même Emile Thévenot dans son étude « Les eaux thermales et les sources guérisseuses en Gaule » nous dit que « … pour eux l’eau vient du ciel… et afin d’obtenir les précipitations bénéfiques, les primitifs invoquaient le grand dieu du ciel et de l’atmosphère » plus loin il ajoute « La source est le lieu sacré par excellence, parce qu’elle est un commencement, une naissance immaculée, une création divine; aussi bien est elle placée sous le patronage d’un dieu ou d’une déesse ».

L’eau purifie et guérit, les fontaines sont souvent dites miraculeuses, et attirent des pèlerins et des malades depuis des temps immémoriaux comme le montrent les ex-voto gaulois et gallo-romains ci-dessous des sources de la Seine ou de Royat, ou l’on venait chercher la guérison de ses maux. Les villes thermales d’aujourd’hui portent les noms des divinités païennes comme Bourbonne-les-Bains, Bourbon-Lancy, Bourbon-l’Archambault, du nom du dieu Borvo ou Bormo; Néris-les-Bains du dieu Nerius, Vichy du dieu Vorocius, etc.

Du culte païen au culte chrétien des eaux

fontaine_st_thivisiau_landivisiau_29_Paul Sébillot dans son livre Le Folklore de France, dit  » Le culte des fontaines était solidement établi et très populaire dans les Gaules lorsque les apôtres commencèrent à y prêcher l’Evangile; ils essayèrent de le détruire en comblant les sources ou en démolissant les petits monuments que les païens avaient élevés dessus…Mais le clergé se ressaisit vite et s’efforça de donner aux fontaines un vernis chrétien en substituant à leurs noms anciens, qui étaient peut-être ceux des divinités topiques, les noms des apôtres de la Gaule et ceux des saints locaux célèbres par leurs miracles », et sans oublier la Vierge devenue très populaire pour remplacer les déesses.

De même Emile Thévenot nous rappelle que le culte des eaux « sous tous ses aspects, sources, ruisseaux, rivières, lacs et mers est à la fois le plus anciennement attesté et l’un des plus généralisés qui fut en Gaule, d’ou le soin minutieux que les premiers missionnaires du christianisme ont mis à intégrer et à sanctifier les sources païennes »

Dans le nouveau Testament, les vertus purificatrices de l’eau sont associées aux miracles fait par Jésus, comme par exemple la guérison de l’aveugle-né que jésus envoie se laver les yeux dans la piscine de Siloé, et sans oublier le baptême du Christ dans l’eau du Jourdain, et l’instauration du sacrement du baptême, par l’eau qui lave le baptisé du péché originel.

Fontaines miraculeuses en France

Les sources sacrées et miraculeuses sont très présentes en Bretagne, mais aussi, quoiqu’en moindre densité dans beaucoup d’autres régions, comme par exemple dans le Quercy, le Béarn, les landes, le Berry, la Savoie, la Lorraine, les Vosges, le Morvan, etc. illustrés par quelques exemples ci-dessous parmi de nombreux autres.

Les styles architecturaux sont extrêmement variés suivant les régions, quelquefois très simples, mais le plus souvent avec des édifices en maçonnerie, en pierre de taille, ou bien en pierre finement sculptée.

 

Les fontaines miraculeuses de Bretagne

La Bretagne est sans conteste la région d’élection des sources miraculeuses au point que certains historiens parlent de la « pharmacopée bretonne », avec une moyenne de deux fontaines sacrées par village, on estime à plus de 2000 le nombre de fontaines sacrées, dont 117 ont été inventoriées par les services culturels. Depuis la nuit des temps, les eaux qui s’écoulent et les saints qui président ces sources sont spécialisées dans des maladies bien définies, pour les hommes ou pour les animaux de la ferme.

Les fontaines bretonnes sont généralement surmontées par des constructions de granit élaborées, avec pour nombre d’entre elles de belles sculptures. Aux vertus guérisseuses de leurs eaux et de leurs saints, s’ajoute aussi leur utilisation pratique par adjonction de bassins soit en lavoirs, soit en abreuvoirs, et leur appellation dans tout l’ouest de la France, les « Doués » devenu synonyme de lavoirs et ou l’on retrouve la racine « Deo, Divin », confirme l’évidence de la nature sacrée de la source depuis les temps immémoriaux.
Les fontaines bretonnes relèvent toutes de légendes qui s’enfoncent dans la nuit des temps, dans les religions païennes, naturelles qui ont précédé le christianisme. L’origine des fontaines tient souvent de la légende, elles furent découvertes sous le sabot d’un cheval ou d’un bœuf, ou bien par le fleurissement d’un roncier en hiver, ou sous le bâton d’un saint évêque, de multiples causes viennent là aussi de la tradition ancestrale, transmise de génération en génération.

L’église, ne pouvant éradiquer ces cultes anciens, à christianisé toutes ces sources, en attribuant à chacune d’elles un ou plusieurs saints guérisseurs; on trouve par exemple des fontaines qui laissent s’écouler l’eau de la source par différents orifices dans des bassins bien distincts, chacun placés sous la protection d’un saint guérisseur spécifique. Ainsi une même source guérit plusieurs maux bien distincts, comme la fontaine aux 7 saints de Bulat-Pestivien (22).

En fait nous ne sommes pas là dans le respect romain de l’eau, basé sur les vertus minérales et chimiques de celle-ci, ici l’eau n’est que le vecteur de l’action du saint, ce n’est pas l’eau mais le saint qui guérit.

La fréquentation populaire des fontaines a toujours posé problème à l’église, qui malgré les pèlerinages organisés par ses soins, les Pardons, suspecte dans l’attitude du pèlerin une confusion entre la vrai foi catholique et la superstition, résurgence inconsciente des cultes païens précédents et les autorités civiles craignent les débordements de mÅ“urs de ces rassemblements de population, au point que la fréquentation de certaines fontaines étant sujettes à des comportements que l’église et la cité réprouvaient, des Pardons ont été interdits et même des fontaines ont été colmatées et détruites.

 

Les différentes fontaines miraculeuses

Les fontaines de dévotion sont un sujet passionnant, car si elles ont une dimension religieuse, elles ont aussi une dimension ethnologique extrêmement riche par leurs vertus et par leurs rites, remontant à plusieurs milliers d’années et transcendant les croyances et les religions qui se sont succédées.

Les ethnologues classent les fontaines en différentes catégories, comme les fontaines d’oracles ou de divination, les fontaines de fécondité, les fontaines marieuses, les fontaines qui donnent la pluie, le beau temps, protègent de la foudre, donnent des vents favorables, de bonnes récoltes, choses essentielles dans une société rurale.

De même les fontaines guérisseuses sont très visitées pour demander le soulagement de tous les maux et la guérison des maladies, c’est une thérapie naturelle qui concerne toutes les maladies dont peuvent souffrir les hommes et les animaux domestiques et ceux de la ferme.

Certains auteurs regroupent les fontaines en trois catégories :

Fontaines à action préventive : On vient demander aux saints qui patronnent ces fontaines, des grâces en tout genres pour soi-même, ses proches et aussi pour ses animaux et son bétail. C’est le jour du Pardon que tout se joue, la fontaine a été nettoyée et décorée, on vient par exemple boire un verre de cette eau ou tremper un membre ou un vêtement ou bien recueillir de l’eau dans un flacon, ce n’est pas l’eau qui guérit, elle transmet l’action miraculeuse du Saint invoqué. Il est donc toujours utile de boire une gorgée de cette eau !
Fontaines à action thérapeutique : On rend visite à cette fontaine même très éloignée, en fonction du mal dont on souffre et de la réputation du saint, on y retournera jusqu’a ce que le résultat soit atteint, et en cas d’absence de résultat, on ira vers un autre saint et donc une autre fontaine. Quand le résultat espéré n’est pas atteint, on punissait le saint en le retournant face au fond de sa niche, ou en le battant, et de toute façon l’offrande était maigre ; on cite le cas des pêcheurs de Tréboul, qui retournaient leur saint Pierre face au mur si la pêche n’avait pas été bonne ! Autre pratique curieuse, quand on ne peut pas se déplacer pour aller à la fontaine ou participer au Pardon, si l’on est alité par exemple, on envoi quelqu’un d’autre faire le rituel par procuration contre rémunération.

Dans la tradition, toutes ces eaux thérapeutiques concernent les maladies locales d’une population très rurale, comme l’insuffisance de lait maternel, les maux de ventre, l’eczéma, la goutte, les furoncles, les problèmes de vue et d’ouïe, l’épilepsie et la débilité mentale, la rage pour les hommes comme pour les chiens, les maladies des bovins et du bétail, etc.

Fontaines oraculaires : Ces fontaines sont très visitées, car ces pratiques touchent en fait tous les âges de la vie; à ces étapes importantes ou l’homme s’interroge sur son avenir, comme des naissances à venir pour connaitre le sexe de l’enfant, les mariages avec le gage de fidélité dans le couple, les absences, les procès, les maladies graves et la mort très présente dans l’imaginaire breton, on ne manque pas de venir consulter le saint de la fontaine, en respectant scrupuleusement un rituel local très précis, remontant là aussi à la nuit des temps.
Par exemple avec l’oracle du fer à cheval, on le pose sur l’eau, s’il flotte le malade survivra, s’il coule la mort est certaine, de même avec l’oracle de l’aiguille, qui si délicatement posée sur l’eau elle flotte la guérison est certaine, mais si l’aiguille coule, la fin est inéluctable. Le résultat équivaut à une condamnation à mort !

Les Rituels

Des rituels bien précis et souvent compliqués doivent être strictement respectés par les pèlerins, s’ils veulent bénéficier de l’action salvatrice du saint, depuis la baignade du corps ou du membre malade, par exemple pour les rhumatismes, cette baignade est en fait un rite de passage, celui de la purification comme dans le baptême chrétien.

Il y a aussi la vidange et le nettoyage de la fontaine par le pèlerin qui se purifie de la sorte, ou tremper un linge dans l’eau ; que l’on interprète comme suit, si le linge flotte, la guérison est certaine, s’il coule, les jours du malade sont comptés, s’il flotte entre deux eaux, la maladie est grave et l’issue incertaine.

De même aller à la fontaine au lever ou au coucher du soleil a une grande importance, comme tourner sur la droite autour de la fontaine est bénéfique et à gauche maléfique, on peut tourner trois fois ou sept fois suivant les lieux, de même verser de l’eau sur le perron de la fontaine appelle la pluie qui féconde la terre,

Ou plus simplement l’ablution des membres malades, mais aussi l’ablution des statues et des reliques des saints, et bien sur boire l’eau de la fontaine peut être salutaire.

Il est aussi des pratiques équestres, comme de sauter au dessus de la fontaine, ou bien d’en faire le tour à cheval un certain nombre de fois, résurgences de rites équestres préhistoriques, condamnés par l’église mais qui se pratiquent encore aujourd’hui

Les Saints guérisseurs

Unknown-2Les esprits forts peuvent sourire sur ce culte des saints des fontaines, mais nous sommes en présence de cultes millénaires, qui furent combattus puis tolérés et enfin christianisés par l’église, et qui témoignent d’une foi extrêmement profonde des bretons à travers les âges, ce qui compte ici ce n’est pas la médecine, c’est la foi.

Chaque affection à sa liste des saints et de leurs fontaines, plus de deux cent Saints dont certains guérissent plusieurs affections différentes suivant les lieux ou on les vénère.

Très connus des bretons, les saints des différentes fontaines sont catalogués pour leurs actions guérisseuses, nous trouvons dans la liste les saints traditionnels et universels de l’église auxquels s’ajoutent quantités de saints locaux, pas ou peu connus hors de Bretagne.

Nous trouvons 10 saints pour les maladies de la tête et les migraines, 1 pour la bouche, 6 pour la dentition, 17 pour les yeux et 9 pour les oreilles ; ensuite 2 pour la gorge, 14 pour les maladies neurologiques, 14 pour les problèmes digestifs, 12 pour les maladies contagieuses, 31 pour les rhumatismes et douleurs articulaires, 12 pour les affections féminines, sans compter ceux qui guérissent tout, etc. tout le corps humain y passe, et sans compter les animaux domestiques et ceux de la ferme!

Certains saints guérissent toutes les maladies, ou reçoivent toutes les demandes de nature très diverses, comme les fiançailles, les accidents de voyages, les examens, etc.

Aux vertus guérisseuses des saints bien connus de l’église catholique, s’ajoute une importante liste de Saints Bretons, comme Saint Bieuzy guérit les maux de têtes, puisqu’il est mort la tête fendue en deux par l’épée, de même pour Saint Trémeur qui sera décapité, Saint Guénolé est invoqué pour les maux de ventre, Saint Jaoua pour les ulcères, Saint Meen pour les maladies de la peau, Saint Egarec pour les verrues, Saint Tugdual pour les douleurs articulaires, etc.

A ces saints s’ajoute la Vierge, présente sous différentes dédicaces, et toujours très vénérée en ces lieux.
Les fontaines aujourd’hui

Les pardons aux fontaines ont toujours lieu aujourd’hui, avec la cérémonie religieuse haute en couleurs, sans que l’on sache bien faire la part du folklore que le tourisme impose, et de la foi aux saints des fontaines. Ces processions font partie des traditions ancestrales qui unissent les hommes d’un territoire.

Les progrès de la médecine ont dévalorisé ces cultes, et si beaucoup de fontaines sont abandonnées, certains continuent à les fréquenter et souvent en cachette.

Ce sont des lieux émouvants ou souffle l’esprit, des édifices chargés d’histoires de la peine et de l’angoisse des hommes, et qu’il faut visiter avec respect. De plus ce sont très souvent de beaux édifices.

Sources : Janvier 2012, Rédacteur Francis Ribaud,  www.oratoires.com
Sources :

Bibliographie

Les Oratoires de France depuis les origines de Pierre Irigoin, illustré par Pierre Lhuillier.
La France Mythologique, par Henri Dontenville, Editions Henri Veyrier, 1980.
La Civilisation Celtique, par Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Leroux, Editions Ouest-France, 1990.
Les Religions Gauloises РRituels celtiques de la Gaule ind̩pendante, par Jean-Louis Brunaux,
Editions Errance, 1996.
Le florilège de l’eau en Berry, par Jean-Louis Desplaces, en 3 volumes, Auto-édition, Chateauroux, 1980.
Les Fontaines bretonnes de Paul Gruyer, Ed. Henri Laurens.
Fontaines sacrées et Saints guérisseurs, Eugène Royer, Ed. J.P. Gisserot, 1994.
Fontaines en Bretagne de Yves Milon Ed Plon, 1964.
Croyances aux fontaines en Bretagne de Sylvette Denèfle, Ed. Edisud, 1994.
Fontaines sacrées en Périgord de Bernadette Darchen, Ed. PLBéditeur, 1988.
Guide de Cent-dix-sept fontaines sacrées de Bretagne de Daniel Spoerri, Ed. Jean Michel Place, 2004.
Fontaines de Bretagne de Albert Poulain & Barnard Rio, Ed. Yoan Embanner, 2008.
Les Saints qui guérissent en Auvergne de Jean-Robert Maréchal, Ed. Ouest-France, 2004.
Les Saints qui guérissent en Poitou-Charentes de Jean-Robert Maréchal, Ed. Ouest-France, 2005.
Les Saints qui guérissent en Normandie de Hippolyte Gancel, Ed. Ouest-France, 2 Tomes, 2006 et 2010.
Fontaines et Chapelles guérisseuses, France-Belgique-Suisse, Jean-François Blondel, Ed. Trajectoires, 2011.

 

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